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« Blinde-toi, le ciel t’aidera »

“Tu dois être blindée pour faire ce boulot.” 

 

Je n’ai jamais compris ce que ça voulait dire… 

Comme une injonction à ne plus ressentir.

 

Donc non… Blinde-toi, je ne vois pas bien.

 

Enfin si… Je vois ce que cela veut dire… je le comprends en théorie ! Par contre, en pratique, je finis le plus souvent mes journées avec soit une joie immense, ou une colère mesurée ou explosive, ou encore les larmes au bord des yeux ou bien en mode fontaine intarissable, ou dans un mode neutre et insensible qui ne dit rien de bon non plus ! 

 

Donc non… “Blinde-toi”, je ne vois pas bien.

Faudrait-il que je m’empêche de ressentir ?

Faudrait-il que je ne vive pas la joie des petits pas ?

Faudrait-il que je ne voie pas la misère ?

Faudrait-il que je ne ressente pas la souffrance ?

Faudrait-il que je n’accueille pas avec empathie une confidence ?

Faudrait-il que je ne ressente pas le bonheur de retrouver quelqu’un que je croyais disparu ?

Faudrait-il que je dissocie ma tête, mon coeur et mon corps ?

Faudrait-il que je ne sente pas les odeurs de l’autre ?

Faudrait-il que j’ignore ce sentiment d’impuissance quasi-permanent ?

Faudrait-il que je ne pleure pas quand une femme s’écroule dans mes bras en me disant combien ses enfants lui manquent ?

 

En fait, j’ai essayé de me blinder et j’ai trouvé ça dangereux.

 

En fait, j’ai essayé… 

… j’ai essayé de ne pas ressentir mais je me suis retrouvée dans une impasse de mal-être qui aurait pu m’emmener loin dans les méandres du burn out.

… j’ai essayé de ne pas voir, mais j’ai mal fait mon travail.

… j’ai essayé de dissocier, mais je me suis sentie devenir à moitié folle, parce que je ne sais plus lequel a raison quand je n’écoute que mon coeur, ma tête et mon corps.

… j’ai essayé de ne pas sentir, mais j’ai perdu le contact avec les personnes que j’accompagne.

 

Pour résumer, j’ai essayé de me blinder et j’ai trouvé ça dangereux pour moi, pour mes collègues, pour les personnes accueillies, pour ma famille, pour tous les autres, pour la relation…

 

Surtout, je n’y suis pas arrivée…  Parce que mes émotions sautent dans mon coeur, les pensées dans ma tête et les sensations dans mon corps. 

 

 

Alors oui, c’est usant…

… de me prendre la misère en pleine figure, 

… de regarder la violence en face, 

… d’accueillir la peine et de la ressentir pendant des heures encore après une discussion, 

… de ressentir la souffrance et de ne pas pouvoir l’apaiser, 

… de vivre une joie immense et profonde dans un terrain hostile aux pensées positives, 

… de vivre et ressentir mes émotions qui font les montagnes russes et le reste avec, 

… de rentrer chez moi avec la vie des autres qui collent à ma peau, à mon coeur et à mon esprit.

 

Et oui, ça me demande un effort…

… de prendre le temps de me demander quelle émotion je vis à l’instant présent,

… de m’arrêter quelques minutes pour me parler doucement à l’intérieur, 

… de m’auto-donner de l’assurance et des encouragements,

… de ne pas banaliser la souffrance, l’exclusion ou les différences,

… de faire la part des choses entre ce qui m’appartient et ce qui appartient à l’autre,

… de chercher intérieurement à quoi se rattache telle ou telle émotion et le verbaliser auprès des personnes capables de m’écouter,

… de prendre mon carnet pour écrire mes gratitudes et mettre des mots sur mes maux,

… de ne pas me précipiter pour rentrer alors que je suis -TRES- attendue à la maison,

… de me lever tôt le matin pour prendre du temps pour moi et remplir mon vase avant de remplir celui de ceux qui le veulent bien. 

 

C’est difficile, c’est usant. C’est exigeant, ça me demande un effort. Mais vraiment, je trouve que c’est plus facile que de me blinder.

 

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