Blog,  Oser la relation

« Créer de l’humain »

Il y a un peu plus d’un an, je participais à une session de formation sur le pouvoir d’agir avec le CERAS (Centre de Recherche et d’Action Sociales), son intitulé était : “De la participation au pouvoir d’agir”

Tout était réuni pour un combo gagnant : 

  • sujet passionnant 
  • intervenants passionnants 
  • participants de terrain et expérimentés tout aussi passionnants !

 

Au moment d’une pause, venant juste après un temps de partage entre participants sur la participation des personnes accueillies, j’écoute, sans le vouloir vraiment, trois personnes discuter ensemble. Ces personnes avaient plutôt le profil de responsables associatifs. La conversation allait bon train, quand j’ai entendu ces quelques mots : 

 

« Il faut créer de l’humain.”

Et un autre de reprendre :

“Oui ! Maintenant c’est clair ! Il faut créer de l’humain. »

 

A l’intérieur de mon esprit et de mon petit cœur, ces mots créent un mouvement ! Une incompréhension ! Une envie d’intervenir !

“Mais ? Mais ! L’humain est déjà là !
Nul besoin d’être créé ! Il est là. Il faut peut-être l’accueillir ? Lui laisser sa place ! Permettre son expression. Laisser libre cours à l’inconditionnalité ! Accepter du coup d’en prendre plein la vue ! positivement et pas toujours. »

 

Pour moi, c’était clair, on peut favoriser la fraternité, la convivialité, la chaleur d’un lieu, être passeur d’humanité. On peut rencontrer, accueillir, aller vers, prendre soin des liens construits, être à l’écoute… mais créer de l’humain on ne peut pas. Car, dans “créer de l’humain”, j’entends quelque chose d’anti-naturel, alors que les relations, les liens sont une nature de l’être humain, ou tout du moins sont censés l’être. Nous avons besoin de liens pour vivre, grandir, croître, nous nourrir, naturellement nous cherchons les liens et les créons. Nous n’avons pas besoin de créer de l’humain pour en avoir. 

 

Un souvenir m’est revenu alors.

 

Dans la dernière association dans laquelle j’ai travaillé, nous organisions des repas régulièrement, une fois par mois, et des fêtes aussi à toutes les occasions possibles de l’année.
C’étaient des moments chéris par les personnes accueillies et par nous aussi les accueillants. Parce que nous étions ensemble, nous mangions un bon repas, moins accueillants – accueillis, et plus amis – frères – sœurs en humanité qui partagent un repas avec son lot de rires, de pleurs, de cris parfois ou de silences et d’ennuis aussi. 

Je me souviens de fêtes de Noël, où l’ambiance était tellement à la fête que nous n’arrivions plus à arrêter la chenille ! Repas, danse, théâtre, rires, … des moments où ensemble nous avons créé de la JOIE ! 

Un temps partagé. Un arrêt dans les accompagnements, dans les suivis, dans les discours. Une pause de la rue. Une autre forme de connaissance et une nouvelle façon de se reconnaître. 

Il n’y avait rien d’exceptionnel, mais il y avait un tout exceptionnel. 

 

C’est clair pour moi maintenant on ne créait pas de l’humain, on lui laissait sa place. 

 

A tout bien réfléchir, je crois que la question n’est vraiment pas de “créer de l’humain”, encore une fois ce n’est pas possible, mais de chercher et de comprendre ce qui dans nos structures enlève cette dimension humaine, cette capacité à accueillir et à donner sa place à l’Autre comme il est, tout entier. 

Si on doit “remettre de l’humain”, “(ré)humaniser” (avec les mains en l’air qui font les guillemets !), c’est qu’il y a déshumanisation. Et je crois que la question est vraiment là !

 

Alors, vraiment je nous invite à faire deux choses :

 

La première est de regarder ce qui, dans notre vie quotidienne, vie d’équipe, de service, d’accueil, d’établissement, institutionnelle et associative, déshumanise et ce qui humanise aussi (!), afin de revoir et de supprimer au fur et à mesure ce qui est déshumanisant, et surtout de valoriser, augmenter les actions, les comportements, les routines qui sont humanisantes !

 

Par exemple, il y a un mot dans le médico-social qui est toujours venu m’impacter avec violence ! C’est le mot “Transfert”. Ce mot désigne les séjours. 

“Transfert” pourquoi ce mot ? Il y a un lien avec le déplacement, c’est évident ! En effet, il y a  un mouvement des personnes d’un lieu à un autre. Dans mon cadre de référence, ce mot a une connotation très matérielle, voire militaire, et absolument pas humaine. Nous imaginons bien, en effet, le transport du matériel de soins, des fauteuils roulants, beaucoup moins celui des personnes en situation de handicap qui vivent le voyage. Il y a quelque chose de déshumanisant.

 

De plus, je me souviens aussi de l’hébergement dans lequel j’ai travaillé à mes débuts. Les repas étaient servis en barquettes aluminium fabriquées à l’autre bout de Paris. Bien sûr, c’était pratique, utile, plus facile. Bien sûr ! Mais cela créait de l’individualité, surtout pas de la convivialité ou de la chaleur, et encore moins des liens. Il est évident qu’assurer les repas d’un hébergement implique d’embaucher des cuisiniers, une logistique, un coût, et en effet, c’est un autre projet. 

Je me souviens de l’ambiance si différente quand nous cuisinions les repas ensemble. Des soirées crêpes dont l’odeur faisait sortir de leurs cavernes les plus bourrus d’entre eux. De cette salle à manger que nous avons repeinte un été pour vivre et agir ensemble. Des heures à préparer les gâteaux, à rire et à pleurer ensemble.

 

L’intention était bonne

 

Quelques temps avant mon départ de l’accueil de jour dans lequel j’ai travaillé, une grande association parisienne nous avait sollicités pour comprendre comment nous “générions” de la convivialité et de la chaleur dans nos accueils et nos repas partagés. Comme si nous étions au cœur d’une innovation sociale et qu’il fallait venir s’inspirer. 

L’intention était bonne, je vous l’accorde ! Mais avouons que visiter des lieux pour comprendre comment ils créent de la convivialité, de la chaleur humaine, comment ils laissent l’humanité s’exprimer paraît aussi un peu fou ! Est-ce que ça ne veut pas dire qu’il y a trop de déshumanisant dans ces établissements ?

On voit bien le chef de projet dire :

“Alors, il y a des lieux d’accueil et d’hébergement où il y a une ambiance différente de chez nous. plus humaine. plus vivante. où la chaleur humaine règne. Allez observer comment ils font et revenez avec des idées.”

Nous avons répondu aux questions, accueilli les observateurs, qui observaient ce phénomène de manière curieuse et intéressée. Et, nous les observions aussi de manière curieuse en se disant “mais que vivent-ils alors s’ils viennent observer comment 

Je dois même dire que nous nous sommes amusés de la transformation en écriture projet de ce que nous vivions : 

      • Finalité : créer de l’humain
      • Actions : organiser des repas
      • Objectifs : augmenter la convivialité et générer de la chaleur humaine
      • Tâches : Inviter 5 bénévoles pour 10 personnes accueillies = 1 pour 2
        Imaginer le repas : varier les aliments, faire choisir le menu aux cuisiniers,
        Faire les courses : liste, achats.
        Cuisiner avec des personnes : donner des rôles, enlever les objets dangereux, suivre la recette. A noter : ne pas oublier de mettre de la musique pour l’ambiance.
        Pendant le repas : Préparer des jeux ou des sujets de conversation à l’avance, mélanger les personnes accueillies et les accueillants.
      • Indicateurs de réussite : des sourires, de la détente, des gens qui s’aiment (ohlalalala non ça c’est interdit !).

 

Je me moque ! J’en ai peut-être pondu aussi des projets comme ça ! C’est aussi parce que j’ai eu à en écrire que je peux me moquer !! Sauf que là où, je travaillais à ce moment-là, ce n’était pas pour avoir un résultat, c’était comme ça, parce que ça faisait partie de la vie de l’accueil et de l’association, et je crois qu’elle est là la différence. 

 

Tout cela me fait penser à une bonne amie qui répète souvent :

“Le jour où je serai en EHPAD, si on m’invite le dimanche midi à “un repas partagé à but de création de lien social”, tu peux être sûre que l’on ne m’y verra pas !”

 

Humaniser, c’est mouiller sa chemise !

 

Et c’est ma deuxième invitation : oser la relation !

Depuis quelques temps, j’observe que dans les lieux d’accueil ou de vie qui reçoivent pour des repas et qui les partagent avec les personnes : la convivialité, l’humain, la chaleur ne se décrètent pas, mais se vivent. Et pour les vivre, il faut mouiller sa chemise : 

  • accepter les imperfections,
  • ne pas pouvoir se rassurer et décliner un plan d’action, 
  • ne pas se donner trop de repères pour ne pas être déstabilisés quand il s’effondrent à cause de la violence, l’alcool, la drogue ou la drague. 
  • dépasser l’inconfort de manger durant le temps d’un repas à côté de quelqu’un dont l’apparence ou le comportement pourrait dans d’autres lieux nous couper l’appétit,
  • entamer la conversation sur le temps qu’il fait ou le match de foot de la veille ou quand on est en forme sur la politique actuelle,
  • être authentique et disponible sans se cacher,
  • aller vers et sortir de son confort inconfortable.

 

Mouiller sa chemise, ce n’est pas facile. C’est même parfois décourageant, souvent déstabilisant, mais ce qui est sûr c’est que c’est toujours très riche d’apprentissage et en humanité justement !

 

« Je n’accompagnerai plus comme avant ! »

m’avait confié une éducatrice spécialisée au retour d’un séjour.

En effet, ceux qui partent en séjour avec les personnes qu’ils accompagnent, le savent aussi : il s’y passe des choses différentes, pour les personnes accueillies évidemment clairement, mais aussi pour les accompagnants. 

Pourquoi ? parce que de nouvelles interactions se vivent durant ces séjours : les réveils matin, le trajet, les moments de pause, les activités communes, le partage d’une vie quotidienne qui donne à tous une autre dimension. 

Je veux faire le pari qu’on peut imaginer dans la vie quotidienne d’un accueil de jour, d’un hébergement, d’un lieu de vie, des routines, des actes, des gestes, des activités qui nous connectent à la vie d’un séjour, et ce sans forcément passer par un tableau d’activité ou un projet pédagogique !

 

 

Alors voilà, selon moi “créer de l’humain” – avec mes deux mains qui font les guillemets – est clairement une invitation à oser la relation (encore et toujours ! ^^) :  

aller vers, 

mouiller notre chemise, 

prendre le risque d’accueillir l’Autre et ce qu’il fait bouger en nous à tous les niveaux : individuel, équipe, service, établissement, association,

et lui faire sa place. 

 

Cela m’inspire un slogan de manifestation :

 

Créons de l’humain. Non ! 

Remettons les liens au coeur de nos préoccupations : 

Osons la relation ! 

 

2 Comments

Leave a Reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *