
Dessine-moi la confiance
“La confiance ? C’est…
Par exemple…
Un monsieur aveugle est au bord d’une rivière. Il voudrait aller de l’autre côté, mais il ne peut pas la traverser. Quand je le vois dans cette difficulté, je m’approche de lui et je lui parle. Je lui dis quelques mots, pour me présenter à lui et être rassurant. Quelques minutes plus tard, je le prends sur mon dos et nous traversons la rivière. Quand nous arrivons de l’autre côté, c’est à ce moment-là qu’il peut me faire confiance.”
Voici la réponse d’Ahmed, 68 ans, bénévole d’un accueil de jour à la question : « Comment illustreriez-vous la confiance ? »
Et toi, comment décrirais-tu la confiance ?
La confiance est au coeur de la relation, et de la relation d’accompagnement. En cherchant, et après avoir réalisé que je me plantais complètement sur mon illustration, j’ai trouvé une définition qui me plaît bien et depuis je la partage souvent en formation. Mais avant cela, on va déconstruire des erreurs possibles.
Erreur n°1 : la confiance naît parce que la relation naît
La confiance entre deux personnes existe à partir du moment où deux personnes se rencontrent. C’est possiblement valable pour les relations coup de coeur, qui ne sont pas si fréquentes. Elle est aussi valable pour les personnes qui donnent leur confiance et font confiance facilement. Mais pour tous les autres, la confiance ne naît pas du simple fait d’être en relations.
C’est une erreur que je faisais ! Pour ma part, auparavant, j’aurais dessiné deux personnes avec un nuage de confiance tout autour d’elles, créé dès le début de la relation.
Erreur n°2 : la personne peut me faire confiance car je lui veux du bien
C’est une erreur que nous faisons souvent et facilement dans la solidarité et le travail social. Sous prétexte que nous voulons le bien de la personne, elle devrait pouvoir nous faire confiance immédiatement : parler d’elle, raconter son histoire, ne pas se méfier, … Nous connaissons notre intention et nos savoirs-faire, mais pas la personne. Elle aura besoin de nous rencontrer, de nous voir à l’oeuvre et de nous connaître pour petit à petit donner sa confiance.
Erreur n°3 : la confiance existe grâce au contrat
Certes, la confiance est une sorte de contrat invisible et plus ou moins tacite, défini entre deux personnes. Il donne une forme de règles du jeu de ce qui est attendu par chacun dans cette relation.
Dans beaucoup de types d’accompagnements, le contrat existe, il est même parfois préalable à la relation. Il vient entre autres lui donner les contours, le cadre, la confidentialité, les objectifs.
Or, la confiance se construit aussi dans la relation, dans le fait de la vivre et de la faire exister. La confiance est non palpable et ne peut être retranscrite sur le papier. En effet, la plupart du temps, expliquer les raisons pour lesquelles nous faisons confiance ou pas à une personne n’est pas possible.
La confiance est une histoire d’actions !
La confiance naît grâce aux gestes, aux attentions, aux pensées, aux actions, aux paroles, à l’écoute que l’on met au pot commun de la relation. Elle existe si et seulement si (comme en mathématiques !) elle est nourrie.
“La confiance c’est l’idée qu’on puisse se fier à quelqu’un ou à quelque chose.”*
Il y a dans la confiance l’idée que l’on confie quelque chose d’important ou de précieux à quelqu’un. En effet, donner sa confiance signifie qu’on donne une partie de soi à l’Autre, à la relation, à l’institution, au contrat. Elle dit également que nous pourrons être en droit d’attendre ou d’être attendu par l’Autre que chacun soit à la hauteur de ce que nous donnons et/ou attendons.
La confiance naît parce qu’il y a la relation…
et la relation existe parce qu’il y a la confiance.
La réciproque est donc vraie ! (encore une formule mathématique !) Confiance et relation se nourrissent l’une et l’autre. En effet, plus le niveau de confiance est fort, plus la relation est renforcée vers le lien.
Durant ma formation de coach, j’ai appris à définir les niveaux de relation, et c’est vraiment très intéressant !
D’abord, il y a le contact : “bonjour – bonjour”, le fait de s’être vu et de se reconnaître.
Ensuite, il y a l’échange : état de la relation dans lequel on va aller plus loin dans la discussion, mais rester à un niveau d’informations,
Puis, il y a la relation, alors nous approchons du partage, chacun étant acteur de ce qui se passe et faisant sa part pour que la relation existe et pour la nourrir.
Et enfin, il y a le lien, quand un flux plus fort, allant au-delà de construit circule entre les deux personnes.
Dans les accompagnements, j’aime beaucoup regarder cette ligne de la relation pour voir où nous en sommes.
Je sais aussi que rien n’est jamais acquis ! Car je sais à quel point, en fonction de paramètres extérieurs ou intérieurs, le curseur va être à une place un jour et peut se déplacer à une autre
Attention ! Ce n’est pas parce que le lien existe que nous devons lâcher la garde ! Au contraire, nous devons entretenir ce lien pour que la personne accompagnée puisse se sentir en confiance et se mettre en mouvement grâce à cette relation “qui fait du bien”.
Faire confiance est nécessaire …
Cela permet de se mettre en mouvement, de se fier à l’autre, d’avancer, de se laisser guider parfois.
Nous avons besoin de confiance en soi-même pour faire le prochain pas, et nous avons besoin de faire confiance à l’Autre, l’institution, la démocratie, l’Etat, l’entreprise pour se projeter dans l’avenir et agir.
… et dangereux à la fois
Cependant, donner et recevoir la confiance est une prise de risques. En effet, il peut s’avérer que la personne physique ou morale à qui nous donnons notre confiance ne soit pas à la hauteur de nos attentes ou pire encore qu’elle trahisse cette confiance de manière délibérée.
Nous savons que nous risquons d’avoir mal, d’être déçus en accordant notre confiance. En revanche, nous savons aussi inconsciemment que ce risque est nécessaire, si nous voulons nous mettre en marche et en mouvement.
C’est la raison pour laquelle des personnes meurtries par des relations ou par la vie, aurons besoin de temps pour construire et accorder leur confiance. Plus que d’autres, elles auront besoin de preuves, de gestes, d’actes, pour donner de soi et se laisser aller à la confiance et à la relation.
Voilà maintenant comment je dessine la confiance pour l’expliquer :
Le pot de la confiance
Si la confiance n’est pas inhérente à la relation, alors nous pouvons imaginer entre deux personnes l’existence d’un pot imaginaire, installé entre deux personnes. Ce pot se remplit au fur et à mesure de nos gestes pour l’autre et des siens pour nous.
Ainsi, quand nous vivons les débuts d’une relation, la confiance est à un niveau 0, et au fur et à mesure des gestes de chacun, le niveau augmente, et le lien de la relation se renforce avec lui.
Et puis, si un événement survient et entrave cette confiance, alors le niveau peut baisser d’autant que la confiance sera entamée. Si le niveau est haut, alors la force de cette confiance sera peut-être réduite et le lien avec. En revanche, si le niveau de confiance est bas, alors un événement, une trahison, un obstacle pourraient tarir la confiance et rompre le lien ou tout du moins le distendre.
Une fois qu’on a dit tout ça, on va parler de choses pratiques !
Comment crée-t-on de la confiance ?
-
Parler de soi, de ce pourquoi on est là
Jérôme Bar le dit très bien dans son entretien pour le podcast. Lorsqu’il rencontre une nouvelle personne qui intégrera un groupe de mobilisation citoyenne, chacun aura son temps de parole et de présentation. Il n’hésitera pas à dire : Pourquoi il est là. En quoi il se sent concerné par ce sujet. Qui il est. Et tout ce qu’il veut dire de lui sur le moment pour nourrir la relation !
-
Se laisser interroger par la personne.
Récemment, j’ai eu un entretien avec un superviseur, quelqu’un qui va m’accompagner dans mon rôle et ma fonction de coach. Une personne avec qui je vais pouvoir relire des situations complexes ou vécues difficilement. La confiance sera donc de mise pour cette relation d’accompagnement !
Nous avions un entretien pour nous rencontrer. C’est alors, qu’au cours de notre entretien, ce – encore à l’état de futur – superviseur me propose de lui poser des questions sur lui.
“Et vous, que voulez-vous savoir de moi ?” sous-entendu “qu’est-ce que vous avez besoin de savoir pour construire notre relation ?”
J’avoue avoir été désarçonnée par cette question, avoir trouvé ça plutôt péchu car cela déplaçait l’entretien, et finalement j’ai apprécié de pouvoir conduire aussi pendant quelques minutes notre entretien pour recevoir les réponses dont j’avais besoin.
-
Faire ce qu’on dit et dire ce qu’on fait
Je vois encore mon papa me dire ça, comme un sage plein d’expériences !
Pour qu’on ait confiance en toi, tu dois dire ce que tu fais, et faire ce que tu dis.
Et pourtant ! Ce n’est pas facile ! Pour autant rien n’est plus agréable que la transparence pour construire et donner sa confiance à quelqu’un. Comprendre ses faits et gestes, lire comment elle fonctionne, pour plus tard pouvoir anticiper ses réactions, ses actions et se donner un peu plus.
Savoir que si cette personne s’engage à faire quelque chose, ce sera fait, permet de se projeter.
-
Envisager avec la personne des actions possibles pour elle
Nous, accompagnateurs – aidants – solidaires, avons deux missions !
La première : établir une relation et un lien “qui fait du bien”. (ce dont nous parlons)
La deuxième : soutenir la personne accueillie, rencontrée ou accompagnée dans sa (re)mise en mouvement.
Ces deux éléments sont nécessaires à tout à chacun pour agir : avoir confiance en l’autre et se mettre en action pour avoir confiance en soi.
Bref, notre rôle est donc de soutenir la personne sur son chemin et d’envisager avec elle des actions qu’elle pourra faire, aboutir, sentir et… REUSSIR !
Effectivement, l’idée étant de ne pas nourrir la spirale de l’échec et au contraire en sortir !
Etre un tuteur de réussite est très important. D’ailleurs, Dérick en parle dans le podcast ! Dérick est coach sportif et les séances préparées sont faites pour que l’athlète réussisse. Selon lui, c’est au coach de préparer la séance et la mise en réussite, et non l’inverse. Il fait donc avec l’état physique et morale de son athlète au début de la séance.
Je ne suis pas toujours sûre que nous fassions de même dans la solidarité et le social. C’est plus souvent à la personne de faire un effort d’adaptation que l’inverse !
-
Etre fidèle dans la relation
Un des principes fondamentaux de l’association Aux captifs la libération : la FIDELITE ! Pourquoi ce grand mot ? Parce que la relation et le lien se construisent dans la fidélité, la rencontre régulière, la reconnaissance et par tout ça dire à l’Autre qu’il existe. Pour les Captifs, cela va se traduire par des tournées toujours les mêmes jours de la semaine, aux mêmes heures, avec les mêmes personnes. Ainsi ces rencontres peuvent devenir un repère pour les personnes rencontrées et renforcer la relation.
Ceci est une invitation à la régularité et à la fréquence de la rencontre pour soi-même et pour l’autre !
-
Nous mettre en action pour nourrir la confiance
Remplir le pot avant l’Autre. Oser faire des gestes, des actions, des tâches, dire des mots qui peuvent nous mettre en risque mais qui auront pour seul but de construire la confiance, de montrer notre fiabilité.
-
Accueillir la personne comme elle est
L’inconditionnalité est aussi un élément de la confiance ! Savoir que quelque part, nous pouvons être accueilli.e comme nous sommes avec nos qualités, nos défauts, nos forces, nos faiblesses, nos douleurs, nos fiertés, nos manquements, nos blessures, nos erreurs, ce que nous montrons et ce que nous gardons…
Savoir qu’il y a des lieux ou des personnes quelque part qui ne nous jugeront pas, qui ne nous le montreront pas, voire même qui feront une place à toutes nos vulnérabilités. Savoir que la relation existera même s’il y a tout cette partie immergée est une source intarissable de croissance et de confiance.
Et oui ! Donner et recevoir la confiance nous mettent en risque. Tout comme la relation d’ailleurs !
Nous prenons sans arrêt le risque d’être déçu.e.s ou de décevoir, de blesser ou d’être blessé.e.s, et pourtant ! toutes ces relations que nous faisons vivre au quotidien, sont nécessaires à notre bien-être et à notre survie !
Quand nous entrons dans la relation d’aide, nous prenons une nouvelle part de responsabilité, celle de proposer une relation, d’être digne de confiance, pour créer un lien “qui fait du bien”** !
Et finalement, c’est exactement comme nous le dit Ahmed !
“C’est alors qu’il pourra me faire confiance.”
***
La confiance existera
si et seulement si
je me mets en action pour la construire.
***
*https://www.cairn.info/revue-etudes-2010-1-page-53.htm
** Je trouve cette expression un peu simple, mais pour l’instant, je n’arrive pas à trouver d’autres façons de dire cela.