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Hier soir, j’ai rencontré des nouveaux !

Des nouveaux travailleurs sociaux, je veux dire.
Ils étaient tout beaux tout neufs. Pas une ride. Pas un pli. Pas une marque.
Beaux du début, de l’envie, du changement du monde, des idées.
Motivés, intéressés, impliqués, pertinents.
Un petit côté naïf, frais, une jeunesse d’esprit que je leur enviais !
Une assurance aussi. Un peu arrogante. L’assurance de la toute-puissance… celle qui a la pensée magique que les personnes pourraient être « sauvées » par la force de leur présence. Ce n’est pas une assurance qui écrase, plutôt une assurance-espérance qui dit “pourquoi je n’y arriverais pas moi ! Pourquoi je ne serai pas celui ou celle qui réussirait ?”

 

Je me voyais… il y a quelques années et j’ai repensé à plusieurs moments…

 

  • Ma première réunion de bénévoles animée un samedi matin, du haut de mes 26 ans, face à des bénévoles de 50 à 60 ans, actifs dans la rue depuis 10 ans. Vraiment, cette première réunion s’est bien passée, mais je ne peux pas dire qu’elle ait été une réussite…
  • Aux soirées animées dans le premier hébergement de stabilisation dans lequel j’ai travaillé, soirées avec Marcelle, Pierre et Jacques, et d’autres. Marcelle, Pierre et Jacques, un trio de rue / trio de choc qui portait la rue dans chacun de leurs mouvements. J étais là moi avec ma nouveauté. Ils me voyaient venir avec mes idées hautes ! Et, ils m’ont quand même accueillie, ils m’ont fait une forme de place dans leurs vies. Je ne sais pas trop comment ça s’est passé, mais ils ne m’ont pas dit de me barrer avec ma jeunesse et mes croyances.
  • A toutes celles et ceux à qui j’ai / nous avons dit ces mots d’une violence involontaire : « de revenir demain pour créer du lien. Malheureusement nous n’avons pas la possibilité de vous trouver un hébergement pour cette nuit, ni pour celle d’après, mais si vous revenez il y a un espoir pour bien plus tard ! Faisons connaissance… »
  • Aux vendredis à nous en prendre plein la tête du cri de la rue et de la souffrance des personnes accueillies.
  • A ces fins de soirées, assises sur mon canapé, où, après avoir survécu au coucher des enfants, je m’asseyais, et je restais assise – je ne sais combien de temps – en ne pouvant rien faire d’autres que rien. Juste avec l’impression que chaque partie de mon corps digérait un contenu impossible à assimiler.

 

Faut-il vraiment huit années et n’avoir que 35 ans pour se transformer en vieille Tatie baroudeuse 

 

qui porte la croix de guerre (auto-décernée), qui n’a pas tout vu, qui est loin d’avoir tout fait mais qui a des histoires à raconter, qui en font un rayon, et qui a vraiment la sensation certains soirs en rentrant à la maison de revenir de loin ! de très loin !

Une tatie, qui a côtoyé la souffrance de la rue, qui a plongé dedans tête baissée pensant pouvoir sauver Dédé et les autres.

Mais oui Dédé il a quelque chose pas comme les autres. Lui ce sera possible. 

 

J’ai tant de choses à leur dire !

 

A commencer par « Il est beau ton engagement ! Il y en a d’autres qui choisissent d’être ailleurs… »

J’aimerais leur dire prenez soin de vous, dès maintenant. Jouez, riez, allez au ciné sur vos temps libres. N’oubliez jamais que c’est une tranche de vie de la personne que vous côtoyez. Ne restez pas seul-e-s avec vos peurs, vos questions, vos envies de bien faire et vos erreurs.
En effet, je pourrai leur dire tout ça, mais ils ne comprendraient pas. Ils se diraient

c’est qui cette relou qui voit tout en tordu ? 

En réalité, j’ai déjà presque envie de les serrer dans mes bras, comme une embrassade sur un quai de gare ou dans un hall d’aéroport. 

Allez, vas-y ! Vis ! Découvre qui tu es et deviens !

Et non, je ne vais pas leur faire un plan ciné, une scène larmoyante, ou un conseil de guerre. Je ne vais rien leur dire de tout ça. Je ne vais pas non plus attendre qu’ils se plantent en disant – en mode Tatie Danielle –

Ah ! Tu vois, je te l’avais dit qu’il fallait faire comme-ci, si tu m’avais écoutée, il se serait passé ça.

 

Je vais certainement créer du lien pour pouvoir être pas trop loin le jour où …

 

… la violence frappera,
… ce ***??!!* sentiment d’impuissance fera insidieusement son chemin dans leurs poitrines,
… le cri de la souffrance des personnes qu’ils côtoient sera tellement fort et lourd, qu’ils iront boire un coup de plus avec les collègues en quittant le boulot,
… leurs larmes couleront d avoir trop fait ou pas assez,
… ils tourneront en rond de ne plus savoir comment prendre Dédé, alors que c’était leur dernière certitude,
… leur confiance sera brisée d’un entretien avec un chef ou un bénévole responsable qui aurait pensé qu’il fallait faire autrement, mais qui aurait oublié qu’en terme d’accompagnement chacun fait de son mieux avec ce qu’il est au moment t !

 

Ce jour là, j’aimerais être là pour eux et leur…

 

… répéter qu’ils font un des plus beaux métiers du monde : celui d être là pour l autre,
… rappeler le chemin qu’ils ont fait en humanité,
… chuchoter que c’est normal de se sentir perdu, c’est la rencontre des fragilités qui opère…
… montrer que « oui, tu n’es plus neuf-ve, mais tu es beau-belle des personnes que tu rencontres »,
… rappeler que non Dédé n’est pas sorti de la rue, mais que Michel est en cure, ou que Jacob a trouvé un travail,
… redire qu’ils font de leur mieux et que c’est ce qui compte.

Je voudrais leur dire qu’ils ont raison de faire ce boulot et que « oui parfois ça fait mal ! » et leur prouver par lien+cadre= à quel point ça a du sens pour la personne, pour eux, pour le monde !

 

« Et quand on a sauté quelques haies, on se connait mieux pour franchir les prochaines. »

 

Par association d’idées, je pense à une intervention de Xavier EMMANUELLI  lors du Colloque “la fragilité, faiblesse ou richesse”* dont voici un extrait : 

“Se connaître soi-même est un long chemin. Il ne s’agit pas d’en faire une prérequis à toute rencontre ou démarche de soin, ce serait complètement irréaliste. En revanche, ce que je crois, c’est qu’il faut faire toute sa place à l’initiation. C’est une démarche que notre culture ne prend plus en compte, ne comprend plus. Mais elle est fondamentale. Tous les jeunes êtres, pour devenir adultes, ont besoin d’être initiés, mis à l’épreuve. Car c’est à travers les obstacles que l’on apprend comment on réagit, quelle erreur on fait naturellement, et finalement qui l’on est. (…) Le connais-toi toi-même cela veut dire “Qu’est-ce que je fais devant un obstacle ? Je le contourne ? Je le saute ? Ou je le refuse ? Et c’est ensuite parvenir à se dire : “J’ai souvent renâclé devant l’effort ou eu peur de l’obstacle. Maintenant, c’est beaucoup plus facile parce que je n’ai plus rien à perdre ni à craindre.” Et quand on a sauté quelques haies, on se connait mieux pour franchir les prochaines.”

Un dernier mot pour la route…

Alors, à tou-te-s les baroudeur-ses-s,

que vous soyez présents 2h ou à deux temps plein, que vous soyez bénévole-s ou employé-e-s pour assurer votre mission d’accompagner. N’oubliez pas de faire leur place aux nouveaux ! de dépasser leur nouveauté pour les accueillir et si ils l’acceptent les initier à l’accompagnement comme vous le faites dans votre structure, heure après heure, jour après jour !

Et puis, à tou-te-s les nouveaux-elles,

laissez vous initier par les Taties et les Tontons, par les vieux de la vieille 😉 comme on dit, en dépassant leurs réalismes, et en vous laissant toucher par leur envie d’être là pour vous et souvent de vous protéger des erreurs qu’ils ont faite ou de celles qu’ils n’ont pas faite !

A tous, bon vent !

Bonnes équipes !

Belles épopées de l’accompagnement !

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