Donner et recevoir : une histoire de vases communicants

par | 4 Avr 2024 | Posture d'accompagnement

Fréquentant le monde associatif depuis 20 ans, et beaucoup plus assidûment depuis 12 ans, je peux dire sans trop m’avancer que la première raison de l’engagement bénévole ou professionnel prend sa source dans ce que les personnes estiment avoir reçu de la vie, de leurs familles, de leurs milieux, de leurs rencontres, etc.

Un constat venant des nombreux (très nombreux) tours de groupe où les participant.e.s et moi-même avons pu nous exprimer sur « Pourquoi je suis là ? ». À cette question, dans un groupe de personnes engagées, tu peux être sûr.e que plus de la moitié des participant.e.s répondent : « Parce que j’ai grandement reçu, il est temps pour moi de donner. »

Au début de l’engagement le vase est plein !

Nous sommes remplis ! Nous sommes plein de cet amour reçu, d’être né.e « au bon endroit, au bon moment » pour certains, d’être tombé.e sur les bonnes personnes pour d’autres. Une forme de chance au moins ressentie qui nous permet de nous sentir riche de quelque chose.

C’est lorsque nous sommes riches que l’on peut avoir envie d’amasser par peur de manquer un jour mais nous avons aussi, souvent un élan naturel pour le don. Le début de l’engagement est une période où nous donnons sans compter. La vague est d’ailleurs tellement belle, intéressante et motivante que nous ne ressentons pas la fatigue.

Un peu plus tard, le vase se vide…

Nous continuons de donner sans compter, mais nous commençons à ressentir un essoufflement à force de donner, de capter quelques retours et de donner encore. La coupe se vide. Nous devenons soudainement moins riches. L’envie et l’élan diminuent. Parfois, il y a même une lassitude, celle de ne pas avoir l’impact que l’on aimerait avoir ou encore celle de ne pas voir de différence avec le début, celle de ne pas créer autant de liens que ce que l’on aimerait…

En effet, en rentrant dans nos engagements, nous sommes heureux.se mais nous traînons de plus en plus les pieds pour y aller. Nous nous sentons un peu « lourd », lourds des autres, de leurs histoires. Nous portons de plus en plus de choses, que ça soit dans notre cœur, notre tête ou notre corps. Ce sont les signes que le vase se vide.

Et soudain, le vase est vide.

Un jour, ce n’est plus si facile. Nous n’avons plus d’élasticités, plus d’envie, plus d’élan. Une sorte d’usure qui empêche la relation, l’authenticité et qui tarit l’envie. Je me souviens d’une après-midi festive à l’accueil de jour dans lequel je travaillais, je m’étais planquée dans la cuisine pour le service, à faire des crêpes car je n’avais plus d’énergie ni pour de la rencontre, ni pour la fête et encore moins pour gérer untel et unetelle. Mes réserves étaient vides.

Certains se reconnaîtront peut-être, d’autres pas du tout : « Ah non, ma coupe ne s’est jamais vidée ! Je suis riche comme au premier jour ! », si c’est ton cas, j’ai vraiment envie de te dire tant mieux ! Profite. Pour d’autres : « Oh oui, ma coupe est vide (ou est en train de se vider), je m’en rends bien compte mais je ne sais pas quoi faire… », alors la suite est faite pour toi !

Voici 4 astuces pour remplir ta coupe lorsqu’elle se vide ou encore pour prendre soin de ne pas la tarir !

1. Avoir un rituel avant et après !

Cela peut se faire dans sa tête ou à l’écrit, avant et après ta permanence, ta maraude, au début de la journée.

AVANT :

  • Comment je me sens aujourd’hui ? Dans quelles dispositions je suis ?
  • Est-ce que je suis en mode tout terrain ou est-ce que je dois me préserver ?
  • Quelle est mon intention pour cette journée ?

APRÈS :

  • Comment ça s’est passé pour moi ?
  • Qui ai-je rencontré ?
  • Y a-t-il quelque chose qui me pèse ? Oui ? Non ? Avec qui je pourrais en parler ?
  • Qu’est-ce que j’ai envie de retenir de cette journée ? Qu’est-ce que j’ai appris ?

Cette astuce te permettra de profiter pleinement de l’adage « il y a deux yeux dans les crayons » et alors, de voir et de comprendre des éléments qui n’étaient pas venus à ta conscience.

2. Te constituer un réseau

Pense à te constituer un réseau de personnes avec qui parler librement de ce que tu vis dans ton engagement :

  • Un.e, des ami.e.s qui comprennent ton engagement. Chez qui tu recevras une écoute attentive, et pas seulement une liste d’injonction « Prends du recul », « Arrête de culpabiliser » ou encore « ne le prends pas pour toi » si tu vois ce que je veux dire !
  • Un.e mentor.e, parrain ou marraine qui a vécu ce que tu vis, et qui pourra te guider : « Des anciens ! Ceux qui savent, savent ! »
  • des personnes de ton équipe ou qui vivent le même engagement que toi.

Pour ces deux suivants, on parle bien de personnes à qui tu n’auras pas besoin de tout réexpliquer. « Quoi ?! Le mec était saoul et violent, et tu es resté à son écoute ? Comment ça tu ne lui as pas dit tout de suite d’aller se faire voir ?! »

  • Un.e professionnel.le de l’écoute : thérapeute, coach, superviseur, qui pourra t’aider à relire des situations, voire à comprendre tes réactions et si besoin, à réparer les parties de toi touchées par des mots, des maux ou des situations.
  • participer aux groupes de paroles proposés au sein de la structure ou aux formations. Le nombre de fois où des personnes arrivent aux groupes de relectures en disant « Je n’ai rien à partager. Je me demande un peu pourquoi je suis venu.e » et quittent le groupe en se félicitant d’avoir pris ce temps, car les échanges et la prise de recul leur a fait du bien et sont toujours des moments enrichissants (= qui remplissent le vase !)

Il y a certaines associations dans lesquelles, c’est clairement une habitude, après la distribution ou la permanence, toutes les personnes présentes vont boire un coup et parle de ce qui les rassemble ou de milliers d’autres choses. Cela permet de passer à autre chose avec une transition, de débriefer, d’échanger des nouvelles des uns et des autres, de faire un sas entre l’engagement et la maison, etc.

Comme le dit le proverbe africain « Il faut tout un village pour élever un enfant. » Je pense qu’il faut également tout un village pour soutenir les personnes engagées sur le terrain de l’exclusion. Et plus on y passe de temps, plus le village doit être grand !!

Gardons toujours en tête que rien n’est anodin dans ce que nous vivons dans les actions de solidarité et auprès des personnes les plus exclues, donc plus on en parle, mieux on se porte !

3. Accepter de recevoir

Accepter de recevoir rencontrées ou accompagnées, les cadeaux qu’elles te font : les sourires, les petits objets, les attentions, les soupirs ou les silences. Voire de les écrire et les collectionner dans une boîte pour y retourner et se ressourcer dans les moments de doute.

Tu peux aussi accepter les signes de reconnaissance, les encouragements des personnes présentes sur ton chemin. Au lieu de dire avec sincérité et modestie :

« C’est normal de faire ce que je fais. De toute façon, je ne saurais pas quoi faire d’autres, et que j’y trouve d’ailleurs un immense plaisir donc c’est bien la preuve que je n’ai aucun mérite. »

Et bien si ! Je te le dis moi :

C’est génial ce que tu fais, de prendre 1h à 40h pour aller vers ceux qui sont loin de tout. C’est courageux, beau, pas commun et encore moins normal ! Même si pour toi, ça coule de source. Ta démarche te fait vivre des choses extraordinaires et te demande un sacré élan ! Alors B R A V O et M E R C I !

4. écouter ses émotions

Écouter ton langage intérieur est un des meilleurs moyens de prendre soin de toi et des autres ensuite ! Pourquoi ? Parce que les sentiments et émotions sont des manifestations qui nous portent un message !

Le message est le suivant : « tes besoins fondamentaux : sens, reconnaissance, créativité, soin, sécurité, inspiration, connexion, appartenance… (il en existe plus de 50) doivent être équilibrés. »

Voici un secret : Il y a une clé qui remplit notre vase (entre autres), c’est la joie de vivre !

Pas forcément la joie éclatante, mais bien la joie (petite ou grande) du lien, de la connexion, de l’utilité, du progrès, du plaisir, de l’instant, de l’appartenance, du soutien, de la sécurité, de l’amour, de l’amitié… Tout ce qui se met en barrière de ces petites joies ou moments de sérénité mérite d’être regardé, parlé, écrit, partagé, pour pouvoir faire ou être autrement.

La joie remplit notre vase.

Cultivons ces petites et grandes joies.

Cultiver ces petites et grandes joies dans l’engagement, faire vivre ces liens qui nous font avancer, prendre le temps de regarder le chemin, sont des choses qui nous ressourcent et nous remplissent ! Ce n’est pas de la perte de temps. C’est de cette façon que nous pourrons continuer à remplir encore et encore celui des autres.

Pour aller plus loin sur le sujet, je te propose d’aller voir ma formation : « Accueillir et travailler avec le sentiment d’impuissance », un sentiment commun dans les relations d’accompagnement et sujet pas assez évoqué avec les professionnel.le.s de la solidarité.

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