La puissance du « Moi aussi », osons le dire !

par | 4 Avr 2024 | Prendre soin

J’ai envie d’entamer cet article avec quelques mots/maux de travailleurs sociaux que j’entends régulièrement en formation ou en accompagnement

« J’ai peur de l’usure. »
« Je sens que mon équipe vit un burn out. »
« J’ai peur de ne pas pouvoir garder mon sang froid. »
« Je vais décrocher. » « J’ai peur du jour où… où ? J’irai trop loin. »
« Quand je regarde ces femmes, je me demande si je suis aussi loin de l’exclusion que je ne le pensais. »
« Avant j’étais patient, maintenant je suis hyper réactif. »
« Je n’aime pas, l’homme que je me vois devenir certains jours au travail. »
« Je suis fatigué. »

Les sources de ces maux sont multiples : l’organisation, la vie d’équipe, la proximité permanente avec la souffrance, le sentiment d’impuissance, la violence, la perte de sens, la communication difficile…

« Je ne me sens pas écoutée. »
« Je ne suis pas reconnu à la mesure du travail que je fais. »
« J’ai du mal à supporter les décès des personnes accueillies. »
« J’ai l’impression d’un éternel recommencement. »
« Tout le monde ne respecte pas le cadre que nous avons décidé en réunion d’équipe. »
« Je me sens envahie par les personnes. »
« Nous n’avons pas les moyens de bien faire notre travail. »
« Je m’attendais à plus de militantisme. »
« Je croyais qu’on lutterait contre les pauvretés et je lutte contre mon organisation pour qu’elle respecte ses acteurs. C’est le monde à l’envers. »
« Je ne pensais pas que ce serait si difficile. »

Cela a des répercussions qui se traduisent par…

  • « J’organise mes retards pour gagner du temps hors de mon travail. »
  • « J’ai plus envie, j’ai l’impression d’avoir perdu en compétences. »
  • « Ils (les membres de l’équipe) peuvent toujours causer ça ne m’intéresse plus. Je fais le job. Point. »
  • « Je fais mon travail dans mon coin. »
  • « J’ai hésité plusieurs fois à demander un arrêt maladie pour me reposer et prendre du recul. »
  • « Je pleure plusieurs fois par semaine, je vais me cacher dans les toilettes. »

Chacun s’isole à sa façon

Les uns décrochent, d’autres s’énervent, quand d’autres paniquent ou démissionnent. Il peut devenir difficile de faire équipe, de bien vivre son travail. On perd le sens. Voire même parfois on ne peut plus voir personne en peinture, ni même les personnes accompagnées qui sont pourtant à l’origine de notre engagement.

C’est dur.

Il n’est pas joli cet envers du décor. Il n’est pas glorieux le côté face de la médaille de l’aide aux plus fragiles. Surtout quand le côté pile de l’engagement « brille » dans les yeux de notre entourage :

  • « Waouh, c’est beau ce que tu fais fais ! »
  • « Quel courage ! Je ne pourrai pas faire ça. »
  • « Ça te va tellement bien d’être avec les gens qui ont besoin d’aide. »
  • « Tu as des enfants en plus ! Vraiment, tu iras au Paradis. »

Il n’est tellement pas glorieux qu’il est plutôt indicible.

Bah non. On ne peut pas le dire que c’est dur. Qu’on en a marre. Qu’on vrille. Que c’est le bazar dans notre vie intérieure. Qu’il y a des jours où c’est tellement difficile qu’on crierait bien sur M. B : « C’était quand même pas compliqué d’aller demander ce (Bip bip biiiippp) papier à ce (f***) guichet ? » ou à Mme C. « Non. NON. NOOOOON. Vous ne pouvez pas arriver tous les jours à 12h05 pour prendre une douche alors que nous fermons à 12h !!! »

On peut dire qu’on a mal à notre engagement…

Mais on prend le risque de ne pas être compris, que notre souffrance ne soit pas entendue, de se sentir encore plus seule, de dire des choses qui ne se disent pas ou qui sont trop intimes.

  • « Je me sens perdue parce que je me sens flattée par tel compliment de tel monsieur. »
  • « J’ai envie d’hurler sur M. Et j’ai perdu patience avec L. car il me fait penser à mon cousin qui me faisait du tort quand j’étais petite. »
  • « Quand j’ai vu cet homme entrer, j’ai revu celui qui m’avait agressé il y a deux ans et j’avais juste envie de disparaître. »

On ne peut pas le dire ou pas tout, parce qu’on risquerait de pleurer, d’ouvrir les vannes, de passer à l’acte.

Ou alors on le dit, on pose des mots…

Les bons mots ou d’autres. Au bon endroit ou au mauvais.

  • Auprès de nos compagnons de route aussi patients qu’impatients : qui, il y a des soirs, n’ont pas envie d’écouter les dernières chroniques de l’accueil TRUC ou du service MACHIN ;
  • À nos enfants (pour ceux qui en ont) : qui nous font sortir de nos gonds plus vite que ce qui aurait dû se passer. Non ce ne sont pas eux les responsables de cet embrouillamini intérieur pour les uns ou ce vide intergalactique pour d’autres ;
  • À nos collègues sympas : qui encaissent avec nous, mais pour qui la coupe est aussi pleine. Le risque de s’enfoncer dans un cercle vicieux, alors que surtout ce dont nous aurions besoin, c’est du vertueux !

Il y a bien des espaces possibles de paroles :

  • les groupes de supervision ou de relectures de pratique ;
  • le ou la chef.fe de service ;
  • les instances du personnel ;
  • un autre cadre ou d’autres collègues ;
  • des copains et copines de promo
  • un psychologue celui de l’association ou un autre ;
  • des bénévoles ;
  • des ami.es, etc

Oui. L’usure est réelle.

Et c’est normal qu’elle fasse peur. L’usure isole mais elle ne devrait pas, parce que si on regarde bien, vu la façon dont fonctionne l’être humain, nous pouvons faire le pari que nous ne sommes pas les seuls à :

  • vivre des émotions intenses ou au contraire à ne plus rien ressentir ;
  • m’accrocher à ce métier que j’aime tant ;
  • ressentir qu’il y a des jours avec et des jours sans ;
  • avoir l’impression au fur et à mesure du temps qu’il y a de plus en plus de jours sans ;
  • vouloir trouver du sens dans son travail et dans son quotidien ;
  • aimer, aider, soutenir, accompagner et à ressentir dans le même temps (^^) une grande fatigue ;
  • ne plus supporter cette institution mais à croire en son métier ;
  • avoir peur de vriller ;
  • pleurer le soir quand on rentre ;
  • s’asseoir sur le canap’ apathique en ayant quand même l’impression d’être hyperactive ;
  • ressentir des sentiments bizarrement positifs en présence de tel ou telle personne accompagnée ;
  • avoir aussi envie d’hurler sa colère comme parfois on laisse les personnes accueillies le faire ;

alors osons !

Osons dire quelque part qu’il y a un envers du décor aussi chez nous ! Nous pouvons le dire au travail ou dans notre espace privé, ou encore créer un nouvel espace pour cela : un groupe de copains et copines de promo, des anciens collègues, un espace de parole individuel comme une supervision ou une thérapie…

Osons aller sur le niveau du ressenti et le partager avec nos collègues, nos supérieurs, notre entourage. Et si nous dépassions le mode réactionnaire, et descendions un peu pour voir si ce qui se cache derrière la fatigue* est de la colère, de la tristesse ou un sentiment d’impuissance bien profond…

Et si nous dépassions la peur de trop en dire, d’aller trop loin, en partageant notre embrouillamini intérieur. Nous découvrirons la puissance du « moi aussi »

La puissance du « moi aussi »

Très souvent, je termine les séances de supervision collective par un tour de groupe. Et il n’est pas rare que les participants disent :

« Je retiens de la séance d’aujourd’hui, que nous partageons les mêmes émotions / questionnements / soucis. »
« Je vais me souvenir que je peux dire plus de choses, parce que nous avons un vécu commun. »
« Aujourd’hui, je me suis sentie écoutée et soutenue par vous et par l’équipe. Vous n’avez pas cherché des solutions. Vous m’avez écoutée et comprise, et c’est cette sensation que je veux garder. »
« Je ne suis pas seule à vivre une telle fatigue et ça va me donner de la force. »
« Aujourd’hui, nous avons décrypté notre fatigue collective et je me sens soulagée. »

En effet, quel soulagement de se rendre compte que les sensations, les ressentis ou les émotions que l’on vit sont partagées par les autres. C’est alors que je suis moins seul.e.

Je t’invite à « mettre des mots sur tes maux »

Définition : Jolie expression du travail social qui est valable pour les personnes accompagnées et aussi valable pour nous, accompagnateurs !

Le mot « fatigue » est très souvent employé en supervision. Je le définis désormais comme un mot valise qui permet de dire que ça ne va pas, sans rentrer dans les détails. Découvrez mes accompagnements ici.

Si vous avez aimé cet article, vous pouvez simplement laisser votre plus bel applaudissement en remerciement !