Elle s’appelait Elisabeth. Il y avait chez elle dans la pièce de vie, installée dans la longueur, une grande table de ferme, entourée par deux bancs et une chaise à chaque bout. Sur cette table, une nappe en plastique changée tous les 6 mois quand l’usure apparaissait ou qu’il n’était plus possible d’enlever le “collant”.
Cette pièce n’était pas très large d’un côté trônait le poêle qui chauffait presque toute l’année – meilleure place de l’hiver – et de l’autre un grand mur de placards en formica de couleur jaune ocre. Dans chaque largeur, deux immenses fenêtres apportaient de la lumière, elles étaient drapées d’épais rideaux rouge pour isoler du froid. Quand venait la nuit, un néon faisant pratiquement la longueur de la table diffusait une lumière froide. Ce n’est pas cette luminosité blanche qui apportait la chaleur ressentie dans cette pièce.
La maison d’élisabeth se trouvait en plein milieu d’un carrefour
Deux routes passantes se croisaient et encadraient son jardin, une allant d’un bourg aux marais, et l’autre allant de Graignes à Saint-Jean-de-Daye. Chez Elisabeth, il y avait toujours du monde… toujours de bonnes raisons de passer :
« J’allais faire mes courses, je passais à côté. »
« J’ai vu de la lumière, j’ai eu envie de m’arrêter. »
« Je revenais des champs. »
On pouvait passer, saluer, s’arrêter, entrer, et être accueilli pour 10, 15, 20 minutes, ou 2 heures.
Le café était toujours chaud…
Il suffisait de passer la porte et de s’attabler.
Chez Elisabeth, les discussions allaient bon train : les nouvelles des uns, la santé des autres, la politique locale ou nationale, les dernières actualités de la Manche libre, le travail des champs… Les discussions ne s’arrêtaient pas, et le café ne refroidissait pas longtemps dans les tasses. Et puis, quand venait le temps de partir, chacun reprenait sa route, un convive en chassant un autre.
Chez Elisabeth, tout le monde se croisait. S’y rencontraient les habitants du coin, venus trouver des amis, rompre l’ennui, refaire le monde, donner les nouvelles… Il y avait les taiseux, les bavards, les conteurs, les drôles, les « un peu fatigants », les isolés qui venaient chercher de la compagnie, les connus qui venaient pour discuter…
Il y a des jours, où il n’y avait plus de places sur les bancs…
Famille, amis, enfants, voisins, tout le monde passait. D’un côté de la table se jouait une partie de belotes, au milieu une discussion à bâtons rompus et de l’autre fusaient les commentaires sur la F1, Miss France, ou le Tour de France.
Quand Elisabeth n’était pas là, les amis marquaient leur passage en déplaçant un pot de fleurs, le paillasson extérieur, ou en laissant un mot.
Élisabeth était ma grand-mère
Je la revois dans son tablier bleu avec des petites fleurs et le bord côtelé. Elle avait des yeux bleus pleins de vécu auxquels on avait envie de s’accrocher. Elle avait les rides de ceux qui ont vécu le dur de la vie, et la grandeur de coeur de ceux qui ont pardonné.
Elle marchait de la table à la cuisine, dans ses charentaises fatiguées. Elle moulait son café dans une machine au bruit infernal, et préparait sans se lasser la boisson à partager dans une cafetière italienne.
Quand elle est partie en maison de retraite, la maison a perdu sa fonction. Mais elle fuguait, bien qu’elle ait perdu la mémoire, on la retrouvait toujours sur le chemin de sa maison.
À la table de Mémé, j’ai éprouvé le mot accueil et la valeur inestimable de proposer un café.
Anonyme, le 23 novembre 2022